Les femmes sont sous-représentées dans les processus de prise de décision visant à faire face à l’épidémie de COVID-19. Quelles sont les conséquences de cette « disparité H/F » dans les organes de gestion de la riposte ? Comment pouvez-vous agir pour aider à renforcer la place des femmes dans les organes de la riposte au covid-19 ?

La participation des femmes à la prise de décision est le cœur de la mission de l’Observatoire de la parité depuis sa création, il y a plus de 12 ans, comme en témoignent les « états des lieux de la parité » publiés et mis à jour régulièrement pour la Province du Sud-Kivu et la Province du Nord-Kivu et de tous leurs territoires ainsi que des états des lieux de la parité plus spécialisés, comme ceux réalisés dans des universités et établissements d’enseignement supérieur ou encore au sein du secteur de sécurité (PNC, FARDC, ANR, DGM et DSF ex DEMIAP).

La place des femmes dans le système de santé

Ces Etats des lieux fournissent aussi des statistiques désagrégées par sexe sur la répartition H/F des emplois dans les structures de santé et dans les organes de direction. Chaque province est organisée en zones et aires de santé gérées par un médecin chef de zone (MCZ) et compte trois niveaux d’institutions de prestation de soins : hôpitaux spécialisés, hôpitaux de référence générale et centres de santé.  Le secteur de la santé du Sud-Kivu compte une femme médecin chef de zone. Les 23 autres zones de santé sont gérées par des hommes, soit 96 %.

Pour le secteur de la Santé du Nord-Kivu  l’enquête révèle que sur les 34 zones de santé que compte la province du Nord-Kivu, 12 sont gérées par une MCZ femme. Concernant les effectifs des 472 centres de santé et hôpitaux analysés, 104 sont dirigés par une femme, soit 22 %.

Dans les deux provinces,  les personnels de santé sont approximativement au 2/3 des femmes ; elles sont pour la plupart infirmières, accoucheuses, aides-soignantes ou filles de salle.

Conclusions : La proportion de femmes occupant un emploi dans le secteur sanitaire et social est très élevée en RDC . Toutefois, il existe des différences systématiques en termes de répartition selon le sexe par profession exercée. Comme dans la plupart des pays, les hommes représentent la majorité des médecins et les femmes représentent la majorité du personnel infirmier et obstétrical. De même, comme le dit l’OMS, « En général, ce sont les femmes qui dispensent les services de santé dans le monde et ce sont les hommes qui dirigent ce secteur ».

La place des femmes dans la riposte au Covid-19

Dès l’apparition de la pandémie en RDC, l’Observatoire de la Parité et de l’Egalité H/F (OPE) s’est inquiété de l’intégration de la dimension de genre (gender mainstreaming) dans la riposte au Covid-19 et donc de la proportion de femmes représentées dans les organes chargés de la gestion de cette riposte ( Comité multisectoriel de Coordination de la Riposte à la Pandémie à Coronavirus (Covid-19), Commissions et Sous-Commissions, Comité locaux, etc.) ainsi que de la proportion de femmes parmi les agents sanitaires affectés à la riposte sur le terrain. L’enquête en cours, limitée à ce jour au Sud-Kivu, a permis de faire un premier « Etat des lieux de la place des femmes dans les organismes en charge de la riposte » :

Au niveau de la Province du Sud-Kivu :

Comité stratégique multisectoriel de Coordination de la Riposte à la Pandémie à Coronavirus (Covid-19) :

  • Comité de Coordination: Membres : 20 / H : 14 / F : 2 / Inconnu : 4 (pas d’information sur le sexe des représentant.e.s de l’OMS, UNICEF, MONUSCO et Coopération suisse)
  • Commission Santé : Membres : 19 / H : 9 / F : 2 / Inconnu : 8 (pas d’information sur le sexe des représentant.e.s des 8 partenaires techniques et financiers : OMS, UNICEF, MSF, GIZ, Cordaid, etc.)
  • Commission sécurité : Membre : 9 / H : 9 / F : 0.
  • Commission socio-économique : Membres : 14 / H : 10 / F : 2 / Inconnu : 2 (pas d’information sur le sexe des représentant.e.s du PNUD et de OCHA)
  • Commission scientifique : Membres : 5 / H : 5/ F : 0 /
  • Commission financière : Membres : 5 / H : 5 / F : 0 /
  • Comités locaux de Coordination de la Riposte à la Pandémie à Coronavirus (Covid-19) : Présidents : Administrateurs des Territoires (AT) et Maires des villes : Tous hommes.

Conclusions : Pour les membres du Comité de Coordination et des 5 commissions dont le sexe a pu être déterminé (Cette incertitude sur le sexe des membres du Comité de coordination et des 5 commissions provient du fait que l’Arrêté créant ces organes ne précise pas clairement le sexe de leurs membres …!) , on compte 52 hommes et 6 femmes. Pour les comités locaux, les AT et les Maires des villes de la Province étant tous des hommes, aucune femme n’assumera la présidence de ces comités au niveau local. Il y a donc beaucoup à faire pour atteindre l’objectif du renforcement du leadership et de la participation significative des femmes et des filles dans les processus de prise de décision visant à faire face à l’épidémie de COVID-19.

Quelles sont les conséquences de cette « disparité H/F » dans les organes de gestion de la riposte au Covid-19 ?

On peut formuler la question d’une autre manière : pourquoi est-il indispensable que les femmes soient représentées de façon paritaire dans ces organes ? Parce que l’article 14 de la Constitution l’exige, bien sûr. Mais aussi pour bien d’autres raisons, dont les 6 suivantes :

  1. Répondre aux besoins des femmes, intervenantes en première ligne

Avec le système de santé extrêmement délabré que connaît la RDC et quasi exclusivement dirigé par des hommes, les besoins spécifiques de toutes ces femmes, agentes du système de santé et intervenantes en première ligne dans la lutte contre le Covid-19, risquent fort d’être négligés : besoins en équipements de protection individuelle (masques chirurgicaux, FFP2, blouse, gel hydro alcolique, etc.), besoins en soutien psychosocial , besoins de protection contre le harcèlement sexuel, etc. C’est pour mieux répondre aux besoins des femmes travaillant dans le secteur de la santé qu’il faut un renforcement du leadership et de la participation significative des femmes et des filles dans tous les organes de prise de décision du système de santé congolais et  dans tous les organes de prise de décision mis en place pour faire face à l’épidémie de COVID-19.

  1. Protéger les femmes, victimes des violences intra-familiales et conjugales.

L’expérience de ces premiers mois de crise sanitaire du coronavirus a montré, dans de nombreux pays que le confinement peut exposer les femmes et les filles à un risque plus élevé, notamment de violence conjugale et d’autres formes de violence domestique, en raison des tensions accrues au sein du foyer.    Cette période de crise ouvre une fenêtre d’opportunité pour mettre au grand jour ce fléau, extrêmement répandu et passé sous silence en RDC, des « femmes battues » ou de la violence conjugale.  Pour faire face à ce grave défi de « l’augmentation des risques de violence basée sur le genre (GBV) », l’OPE considère qu’il ne suffit plus de se contenter de communiqués ou de déclarations désapprobatrices (et sans effets…) mais qu’il faut rompre le silence et surtout amener plusieurs parties prenantes à mettre enfin en œuvre des mesures concrètes, des activités, des projets, des programmes, efficaces de lutte contre cette pandémie de la violence conjugale.

  1. Éviter l’interruption de l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive.

Dans le contexte de la pandémie du COVID-19 en RDC, les mesures de confinement décidées par les autorités (nationales, provinciales, locales) peuvent avoir pour résultat de restreindre davantage l’accès à des services de santé sexuelle et reproductive déjà très limités en RDC, tels notamment les soins de santé pré et postnatals, la contraception, l’avortement sécurisé et médicalisé, etc. Pour relever ce défi de «l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive », des activités de sensibilisation, d’information, de plaidoyer, etc. doivent donc être mises en œuvre pour éviter que les efforts déployés pour contenir la propagation du virus n’entravent pas l’accès souvent déjà trop limité à ces services de santé.

  1. Réduire les impacts économiques pour les femmes (et pour tous…).

La crise sanitaire du coronavirus, avec les mesures de confinement qui l’accompagnent, menace très  sérieusement la participation des femmes aux activités économiques, en particulier celle des paysannes, des petites commerçantes (y compris transfrontalières) et de celles actives dans les secteurs informels en général. L’impact de cette crise sur les ménages pris en charge par les femmes est énorme.  Selon un sondage téléphonique réalisé début avril auprès de 214 ménages clients de l’entreprise Bboxx à l’est de la RDC, la préoccupation première pendant cette crise sanitaire est l’accès à la nourriture pour 62 % des familles. La santé n’arrive qu’en troisième position après l’accès à l’eau. Afin de « Réduire les impacts économiques pour les femmes »  il faut que ces impacts soient pris en considération par les différentes parties prenantes et les organes de la riposte au le COVID-19, notamment lors de la prise de décisions sur le confinement et le déconfinement.

  1. Changer les mentalités des hommes vers une masculinité positive.

Durant cette période de confinement les hommes congolais confinés doivent rester à la maison.

C’est une occasion inespérée pour leur faire prendre conscience que la mère de famille (et les filles) effectuent à la maison, le plus souvent après leur journée de travail aux champs, au bureau, à l’hôpital, à l’école, etc. la plus grande partie du « travail de soin » c’est-à-dire tout l’éventail des tâches domestiques quotidiennes (cuisine, ménage, lessive, raccommodage, collecte d’eau et de bois de chauffage, etc.)Le dernier rapport d’OXFAM « Celles qui comptent » met en lumière la charge, lourde et inégale, du travail domestique et de soin assuré par les femmes et les filles. Cette période de confinement est pour l’OPE une  fenêtre d’opportunités à exploiter au maximum : les hommes congolais confinés doivent passer à la vitesse supérieure et abandonner la masculinité toxique pour une masculinité positive en assumant leurs responsabilités en matière de travail de soin, de tâches domestiques afin de rééquilibrer la part disproportionnée incombant actuellement aux femmes au sein des ménages et dans les communautés.

 

  1. Maintenir les femmes à l’avant-garde de la riposte au Covid-19.

Les organisations de femmes ont été parmi les premières à se mobiliser pour que les messages de santé publique à portée pédagogique sur les risques et les stratégies de prévention soient délivrés à toutes les femmes. L’OPE, par ex.,  est une des OSC qui a diffusé plus de 25 posts (publications sur www.deboutcongolaises.org) qui ont abordé les risques du Covid-19 et surtout les mesures de prévention, en mettant l’accent sur le port obligatoire du masque de protection ainsi que sur les méthodes de fabrication et les conseils pour le porter efficacement. (Voir tous ces articles dans la rubrique Actualité). L’OPE a commencé aussi à sensibiliser sur les risques de la désinformation qui prolifère sur les réseaux sociaux ( Halte à la « désinfo-démie », la dangereuse épidémie de désinformation sur le Covid-19 qui met en danger des vies). Les femmes et les organisations de femmes ont été aussi les premières à se lancer dans la fabrications des masques de protection, vu la totale incapacité des pouvoirs publics à les fournir à la population.

Il y a donc ces 6 raisons (et peut-être d’autres encore) de renforcer le leadership et la participation significative des femmes dans  les organes de prise de décision visant à faire face à l’épidémie de COVID-19.

Vous aussi, vous pouvez aider à renforcer la place des femmes dans les organes de la riposte au covid-19

Pour obtenir ce renforcement,  il faut en premier lieu disposer des « Etats des lieux de la place des femmes dans les organismes en charge de la riposte » dans les 11 anciennes provinces  ou , mieux encore, dans les 26 actuelles provinces. (On ne peut pas se contenter du seul Etat des lieux fait au Sud Kivu pour sensibiliser et faire un plaidoyer dans toutes les provinces du pays).

Le processus est très simple : il suffit que vous ou votre organisation récoltiez les statistiques désagrégées par sexe sur la répartition H/F dans les organes de décision de la riposte

Comment procéder ? Il suffit de :

  • vous procurer l’Arrêté du gouverneur de province portant désignation des membres du Comité multisectoriel de coordination de la riposte contre la pandémie à coronavirus (Covid-19) et de ses différentes commissions (santé, sécurité, etc.)

  • faire un tableau de la répartition H/F dans de ces organes en suivant le modèle du Sud-Kivu :

Nom de l’organe                                  Nombre de membres Nombre d’hommes Nombres de femmes %age de femmes Commentaires
Commission Santé 10 8 2 20%

 

Sur base des données statistiques recueillies dans votre province et à l’aide de l’argumentaire développé plus haut :

  • vous pouvez démarrer dans votre province une sensibilisation et un plaidoyer pour renforcer le leadership et la participation significative des femmes dans les organes de riposte au COVID-19 de votre province.

  • L’Observatoire de la parité, membre du mouvement Rien sans les femmes (RSLF), veillera à développer cette sensibilisation et ce plaidoyer au niveau national.

Les étapes suivantes (ou immédiates si vous en avez la capacité):

  • Relever des statistiques désagrégées par sexe des équipes d’agents de santé déployées sur le terrain dans le cadre de la riposte au coronavirus.
  • Faire les Etats des lieux de la parité du système de santé dans votre province : répartition H/F des emplois dans les structures de santé et dans leurs organes de direction (hôpitaux, centres de santé, etc.)
  • Plaidoyer pour l’élaboration d’un plan d’action triennal pour la parité et l’égalité des chances H/F dans le secteur de santé de votre province.

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