Dans le cadre du Mouvement Rien Sans Les Femmes, l’Observatoire de la parité a été chargé d’établir des Etats des lieux de la parité dans des universités et instituts d’enseignement supérieur de la RDC. Ce travail a été effectué par les 15 Groupes de Dialogue Estudiantin de 15 institutions d’enseignement réparties à Bukavu, Goma, Beni, Uvira et Kinshasa à l’aide d’un Guide pratique d’élaboration d’un état des lieux de la parité dans un établissement d’enseignement supérieur et universitaire mis au point par l’Observatoire de la parité. Voici les premières constatations de cette enquête.

LA COMPOSITION H/F DES ORGANES D’ADMINISTRATION DE L’UNIVERSITE OU DE L’INSTITUT SUPERIEUR

Les organes d’administration (Conseil d’établissement, Comité de gestion) et les principales fonctions de responsabilité (Recteur / Directeur Général, Secrétaire général académique, Secrétaire général administratif, Administrateur du budget) de tous les établissements examinés sont très largement aux mains des hommes, à l’exception du poste d’administrateur du budget qui revient parfois aux femmes, probablement parce que, comme dans beaucoup d’organisations, on semble accorder plus de confiance aux femmes pour occuper des fonctions qui exigent rigueur et surtout honnêteté….

Les femmes sont aussi très minoritaires au sein des Conseils de faculté / section et de leurs Bureaux de faculté et parmi les fonctions de responsabilités à ce niveau (Doyens de facultés ̸ chef des sections, Vice doyens des facultés ̸ chef des sections adjoint, Secrétaire académiques des facultés ou de section, Secrétaire administratif et financier de facultés ou des sections) à l’exception quelquefois encore des postes à responsabilité financière. Il en va de même pour les Conseils de département et les postes de Chef et Secrétaire de département.

COMPOSITION H/F DU CORPS ACADEMIQUE

Les données montrent que presqu’aucune femme n’atteint le niveau de Professeur de même que le niveau de Chef de travaux. Les femmes atteignent le titre d’Assistant mais en petite proportion.

COMPOSITION H/F DU PERSONNEL ADMINISTRATIF, TECHNIQUE, ET OUVRIER

C’est à ce niveau que l’on va retrouver un nombre plus grand de femmes dépassant parfois les 30% et même les 50%, notamment dans le personnel ouvrier où elles sont souvent nombreuses vraisemblablement comme nettoyeuses.  C’est donc dans les fonctions moins prestigieuses des institutions d’enseignement supérieur que l’on retrouve le plus de femmes.

COMPOSITION H/F DU CORPS ESTUDIANTIN PAR FACULTE OU SECTION

Les statistiques récoltées par les GDE sont malheureusement lacunaires concernant le nombre de filles et de garçons peuplant les facultés ou sections. Celles disponibles montrent que les filles sont tantôt minoritaires (moins de 30%), tantôt majoritaires (plus de 50%) comme à l’IFASIC. La collecte de ces informations devra donc être poursuivie pour permettre de tirer des enseignements plus fiables quant à l’accès des filles à l’enseignement supérieur.

Les statistiques sont plus consistantes en ce qui concerne l’accès des filles aux postes de responsabilité estudiantine. A ce niveau, l’on constate également la marginalisation des filles. Elles sont souvent minoritaires dans le Collège des étudiants. De plus, elles n’occupent que très faiblement les fonctions de porte-parole, de délégué facultaire, de ministre (à l’exception de ministre du genre…) et même de Chef de promotion. Elles sont aussi en minorité dans les mutualités estudiantines.

Que faire ?

Les premières conclusions qui peuvent être tirées des premiers États des lieux de la parité dans 7 établissements d’enseignement supérieur (et qui devront être confirmées lorsque les 15 États des lieux seront tous finalisés) font apparaître clairement que la femme et la jeune fille congolaise ne bénéficie pas d’une représentation équitable au sein des institutions d’enseignement supérieur de la RDC et cela à tous les niveaux. L’on pourrait représenter cette inégalité dans l’accès à l’enseignement supérieur,  aux carrières académiques et aux fonctions de direction sous la forme d’une pyramide qui va se rétrécissant depuis la base jusqu’au sommet.

En bas de la pyramide, au niveau de la composition du corps estudiantin, l’inégalité des chances d’accéder à l’enseignement supérieur existe déjà puisque les filles sont généralement moins nombreuses que les garçons sur les bancs des universités. Au niveau directement supérieur, la pyramide se rétrécit fortement puisque un très petit nombre de jeunes femmes poursuivent une carrière académique en tant que assistant.e ou chef.fe de travaux. Elles se retrouvent donc encore en plus petit nombre à l’étage supérieur de la pyramide qui n’est peuplé très majoritairement que d’hommes. Cela explique donc, qu’au sommet de l’édifice, l’on ne retrouve dans les postes de direction et de gestion presque exclusivement que des hommes.

Comment expliquer cet « abandon ou déperdition des femmes» qui frappe les jeunes filles et les femmes  à mesure que l’on monte dans la hiérarchie ?

Certains, dont beaucoup d’hommes, l’expliqueront par « l’infériorité naturelle de la femme ». Aujourd’hui, on ne peut plus se raccrocher à de telles croyances rétrogrades mais il faut plutôt examiner les points de blocage, les inégalités de fait et les voies d’améliorations possibles pour la promotion des femmes dirigeantes au sein de la communauté universitaire.

Christine Clerici, Présidente de l’Université Paris Diderot, lors d’une table ronde « Reconnaître et promouvoir les femmes de l’Enseignement supérieur et de la recherche : quels leviers et quelles incitations ». identifie bien  les points de blocage, les inégalités de fait : « On constate qu’aujourd’hui, les femmes qui renoncent à faire évoluer leur carrière pensent, avant tout, à mener leur vie d’épouse et de mère au détriment de leur ambition professionnelle ». Cela contribue à ce qu’on appelle la ségrégation verticale, c’est-à-dire la déperdition des femmes à mesure que l’on monte dans la hiérarchie. « Il y a plusieurs explications à ce phénomène comme la socialisation différentielle à laquelle sont soumis les hommes et les femmes depuis l’enfance qui produirait des attentes et des stratégies de carrière différentes. Mais aussi et sans doute le manque de confiance des femmes en leur capacité à être promues ou tout simplement, pour certaines d’entre elles, l’absence de motivation personnelle qui peut être le fruit d’une autocensure. Également, il ne faut pas négliger la division sexuelle du travail et la conciliation entre la vie de famille et la carrière rendue difficile pour les femmes en raison de leur prise en charge quasiment exclusive de l’univers domestique. Leur carrière est souvent moins linéaire parce que les femmes souvent l’interrompent en raison d’une maternité ou simplement pour suivre leur conjoint ».

Comment développer et encourager l’égalité d’accès aux fonctions dirigeantes ?

Pour Christine Clerici ; « Nous devons prendre en compte les aspirations des femmes et respecter leur choix dans les moments clés de leur vie professionnelle. Nous devons ensuite les entourer, leur faire prendre conscience que les institutions sont présentes à leur côté et les aident à préparer leur carrière. Quant à la maternité, elle ne doit pas constituer un obstacle ! »

Même dans les pays où l’égalité femmes-hommes est déjà une notion bien intégrée, peu de femmes sont à la tête d’universités ou de grandes écoles. Leila Saadé, coordinatrice du Réseau francophone de femmes responsables dans l’enseignement supérieur et la recherche, créé par l’AUF (Agence universitaire de la francophonie) en novembre 2014, considère que l’enseignement supérieur ne peut pas être performant en mettant de côté 50 % de ses forces.

Elle aussi explique la sous-représentation des femmes au sein de la hiérarchie universitaire par les pesanteurs familiales, sociales, historiques : « Même avec des textes non discriminatoires, neutres, de fortes discriminations existent dans l’université. Les femmes en âge de procréer ne se placent pas véritablement dans le mouvement de l’avancement universitaire. La contrainte d’être suffisamment présentes auprès des enfants pèse sur les mères ».

On lui pose la question : Pensez-vous que des quotas – souvent accompagnés d’un procès en incompétence des femmes nommées – soient nécessaires pour faire progresser l’accès des femmes aux responsabilités dans les universités ?

Sa réponse : « S’il peut y avoir quelque chose de gênant dans le fait d’imposer un certain pourcentage de femmes par quotas, que proposer après des millénaires où elles n’avaient aucune existence dans des lieux de décision ? Quant à la question de l’incompétence, se la pose-t-on lorsque 90% des hommes figurent sur une liste électorale ou détiennent le pouvoir ? Le constat est que des femmes brillantissimes n’y accèdent pas car elles sont discriminées. En tant que juriste, je suis convaincue que la loi, le règlement, est une manière institutionnelle d’ouvrir les portes. Même si les quotas ne représentent pas une méthode flamboyante, il s’agit d’un moyen d’amorcer un mouvement vers l’égalité. Cela permet aux femmes qui n’auraient pas franchi le pas sans incitation, de se « réveiller » et de s’imposer pour prendre des responsabilités. Un ancien recteur de l’université libanaise disait toujours que les femmes étaient plus rigoureuses et plus performantes. C’est parce que nous avons davantage besoin de prouver notre compétence. En termes de légitimité, quand les hommes commencent à zéro, nous commençons à moins 100 ».

La publication des États des lieux de la parité dans les établissements d’enseignement supérieur de la RDC met en évidence l’urgence qu’il y a d’organiser un Séminaire sur l’accès des femmes aux postes de responsabilité dans l’enseignement supérieur de la RDC dont les principaux objectifs seraient:

  • D’examiner dans quelle mesure la participation pleine et équitable des femmes dans l’enseignement supérieur est un défi pour les établissements d’enseignement supérieur congolais, en d’autres termes, de faire le bilan de la situation;
  • De faciliter le dialogue et l’échange d’idées entre les leaders de l’enseignement supérieur pour améliorer la situation;
  • De partager des informations et évaluer les politiques et les incitations qui ailleurs ont été couronnées de succès.
  • De faire appel à  des organisations universitaires nationales, régionales et internationales ainsi qu’à des établissements d’enseignement supérieur pour éliminer les obstacles qui se dressent contre l’accès des femmes à l’enseignement, à la recherche et aux postes de direction;
  • D’appeler le gouvernement à légiférer pour l’égalité des chances, entre autres par des mesures de discrimination positive et l’imposition de quotas, et de demander des comptes aux universités sur la mise en œuvre de ces politiques.

 

 

 

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