La loi électorale promulguée est sexiste, reste « glissante » et contraire à la constitution

Par Espérance Mawanzo | Publié : 13 février 2015

La loi modifiant et complétant la Loi n°06/006 du 9 mars 2006 telle que modifiée par la Loi n°11/003 du 25 juin 2011 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales a été adoptée, dans les conditions expéditives que l’on sait, par le Parlement et promulguée le 12 février 2015. L’Observatoire de la parité considère que cette loi comporte plusieurs dispositions contraires non seulement à l’approche genre mais aussi à la Constitution. De plus, elle reste dangereuse pour le bon fonctionnement démocratique, un processus électoral intègre et l’alternance politique en ce qu’elle ne supprime aucunement les possibilités d’un glissement des élections présidentielles et législatives au-delà de 2016, même si la CENI a publié un calendrier électoral global programmant les élections législatives et présidentielles combinées avant la fin 2016.


I. UNE LOI ELECTORALE SEXISTE CONTRAIRE A LA CONSTITUTION

Selon le gouvernement, les modifications de la loi électorales étaient, entre autres, justifiées par la nécessité d’accentuer « l’approche genre aussi bien dans l’établissement des listes électorales que dans l’attribution des sièges ». L’exposé des motifs déclare : « Parmi les innovations introduites, on peut citer : 7. Le respect de l’approche genre » Or, les modifications apportées à la loi électorale ne contribuent en rien à atteindre cet objectif, au contraire, elles font reculer « l’approche genre » et sont contraires à la Constitution

DES CONDITIONS D’ELIGIBILITE DISCRIMINATOIRES.

Plusieurs importantes modifications portent sur les conditions d’éligibilité imposées pour se porter candidat.

La loi révisée introduit une nouvelle condition d’éligibilité qui n’était pas inscrite dans la loi de 2006 ni lors de sa modification en 2011, la condition de diplôme qui exige des candidats de fournir une photocopie certifiée conforme d’un titre académique ou scolaire :
– un diplôme d’études supérieures ou universitaires pour le candidat à la présidence, le candidat député, sénateur, député provincial, gouverneur et vice-gouverneur, conseiller urbain, conseiller municipal, Maire et Maire adjoint, Bourgmestre et adjoint,
– un diplôme de fin d’études secondaires pour le candidat conseiller de secteur et de chefferie et le candidat Chef de Secteur et adjoint)
Il est prévu toutefois que l’absence de diplôme peut être remplacée par « Une ou des attestations justifiant d’une expérience professionnelle d’au moins cinq ans dans le domaine politique, administratif ou socio-économique » (art.18, al.2, 5)

L’Observatoire de la parité considère que cette condition supplémentaire d’éligibilité est non seulement contraire à « l’approche genre » (1) mais aussi contraire à la Constitution (2) :
1. Dans les circonscriptions rurales (mais aussi urbaines), les jeunes filles sont déscolarisées plus précocement que les garçons et l’inégalité de chance entre filles et garçons d’accéder aux études supérieures (et même au diplôme de fin d’études secondaires) est une triste réalité. Ajouter la condition de diplôme vient donc renforcer les discriminations dont femmes et filles sont victimes en diminuant leurs possibilités d’accéder aux fonctions électives, ce qui est contraire à l’article 14, al. 1 et 2 de la Constitution : «
Les pouvoirs publics veillent à l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard de la femme et assurent la protection et la promotion de ses droits.
Ils prennent, dans tous les domaines, notamment dans les domaines civil, politique, économique, social et culturel, toutes les mesures appropriées pour assurer le total épanouissement et la pleine participation de la femme au développement de la nation.

2. L’art. 5 de la Constitution dispose que
« Sans préjudice des dispositions des articles 72 (être âgé de 30 ans pour le candidat Président), 102 (être âgé de 25 ans pour le candidat Député national) et 106 (être âgé de 30 ans pour le candidat sénateur) de la présente Constitution, sont électeurs et éligibles, dans les conditions déterminées par la loi, tous les Congolais de deux sexes, âgés de dix-­huit ans révolus et jouissant de leurs droits civils et politiques ». La Constitution qui favorise donc l’implication des jeunes dans la vie politique en ne fixant explicitement une condition d’âge supérieur à 18 ans que pour 3 fonctions (président, député, sénateur) est contredite par une disposition légale qui retarde cette implication et qui ajoute une condition d’éligibilité non prévue par la Constitution puisque, pour celle-ci, pour être éligible à de nombreuses fonctions électives, il suffit d’avoir 18 ans. Or, qui peut avoir obtenu un diplôme d’études supérieures (et parfois même de fin d’études secondaires) à 18 ans. De plus, l’exigence de fournir une copie certifiée conforme de son diplôme ou d’une attestation en tenant lieu est totalement irréaliste et ne tient pas compte des obstacles liés à l’inaccessibilité géographique, financière et autres difficultés administratives
3. La possibilité de compenser l’absence de diplôme par une attestation justifiant d’une expérience professionnelle n’est pas satisfaisante et l’expérience professionnelle n’est pas une condition d’éligibilité prescrite par la Constitution. On peut aussi se demander quelle sera l’autorité habilitée pour vérifier l’authenticité de ces pièces justificatives ? Ne sera-t-elle pas « proche du pouvoir » et tentée de valider ces attestations de façon arbitraire en privilégiant celles des candidats de cette obédience.

Pour toutes ces raisons, l’Observatoire.de la parité considère qu’une Cour Constitutionnelle compétente et indépendante devrait déclarer cette condition d’éligibilité liée au diplôme contraire à la Constitution.

La loi aggrave considérablement une autre condition d’éligibilité : la condition du dépôt d’une caution, étrangement rebaptisée « frais de dépôt de candidature non remboursables» dont le montant a été multiplié par 5 ou même par 10. Le candidat président devra déposer 100 millions de FC ! Les « petits » candidats conseillers municipaux, de secteur ou de chefferie devront dépenser des montants évidemment moindres mais néanmoins inaccessibles aux simples citoyens vivant au jour le jour. Ces augmentations « astronomiques » ont été justifiées par la prétendue nécessité de « lutter contre la multiplicité des candidatures fantaisistes », alors qu’il existe bien d’autres moyens moins douteux d’y arriver. Dans de très nombreux pays, il est simplement demandé au candidat de récolter un certain nombre de signatures de soutien ou de parrainage à leur candidature parmi les citoyens ou les élus.

L’Observatoire de la parité rejette avec la dernière énergie cette autre fausse amélioration de la loi électorale qui en est plutôt une détérioration dangereuse, tout aussi contraire à « l’approche genre » (1) et à la Constitution (2) :
1. Cette condition va à l’encontre des progrès de la parité dans les institutions nationales, provinciales et locales puisqu’il est bien connu que les femmes, particulièrement les femmes rurales, disposent de moins de moyens financiers que les hommes et verront donc leur accès aux fonctions publiques limité de ce fait. Elle est donc contraire à la constitution en son article 14.
2. Cette condition d’éligibilité, le paiement de frais de dépôt de candidature inaccessibles aux personnes de condition sociale modeste, constitue une mesure discriminatoire sur base de la condition sociale et est donc contraire à l’article 13 de la Constitution qui dispose que : «
Aucun Congolais ne peut, en matière d’éducation et d’accès aux fonctions publiques ni en aucune autre matière, faire l’objet d’une mesure discriminatoire, qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif, en raison de sa religion, de son origine familiale, de sa condition sociale, de sa résidence, de ses opinions ou de ses convictions politiques, de son appartenance à une race, à une ethnie, à une tribu, à une minorité culturelle ou linguistique».

Pour toutes ces raisons, l’Observatoire.de la parité considère aussi qu’une Cour Constitutionnelle compétente et indépendante devrait déclarer cette condition d’éligibilité liée à la condition sociale contraire à la Constitution.
L’ABSENCE DE MESURES DE MISE EN OEUVRE DE LA PARITE HOMME-FEMME DANS LES INSTITUTIONS

Plusieurs dispositions du projet introduit par le gouvernement avaient pour objectif de progresser vers une représentation équitable de la femme dans les institutions et vers la parité en «accentuant l’approche genre aussi bien dans l’établissement des listes électorales que dans l’attribution des sièges »
L’article 13 du projet disait : «
Chaque liste est établie en tenant compte de la représentation homme- femme et de la promotion de la personne vivant avec handicap.
Dans une circonscription de plus de deux sièges, un tiers des candidats présentés sur une liste doit être de l’autre sexe
» et l’article 22 prévoyait pour la première fois une sanction en cas de non-respect : « Une liste présentée par un parti politique, un regroupement politique ou une candidature indépendante est déclarée irrecevable lorsque: (…) 4. elle ne satisfait pas aux prescrits de l’article 13, alinéa 4, de la présente loi ».
Cette obligation de placer au moins un tiers de candidates femmes sur les listes présentées par les partis politiques assortie en cas de non-respect de la sanction de la non recevabilité de la liste, constituait un progrès appréciable qui a pourtant été balayé sans coup férir par les « honorables » des deux sexes. Les honorables députées ont théâtralement quitté l’hémicycle en guise de protestation contre la suppression de cette obligation mais pour le réintégrer quelques instants plus tard et adopter, « la queue entre les jambes », cette loi « pariticide » ou « tueuse de la parité »
D’autres dispositions du projet déposé visaient à renforcer la représentation de la femme : «
Au cas où, dans une Assemblée Provinciale (ou un Conseil municipal, de secteur ou de chefferie), l’un des deux sexes a obtenu moins d’un tiers de sièges conformément à l’article 13, la Commission Electorale Nationale Indépendante a l’obligation de prendre en compte les candidats de ce sexe non élus ayant obtenu le plus grand pourcentage de suffrages dans les circonscriptions électorales où ils sont candidats ».
L’Observatoire de la parité considère que cette introduction de quotas de femmes (« l’autre sexe ») sous la forme de sièges réservés aux « meilleures perdantes » (bien que formulée de manière inadéquate ) constituait un progrès pour la parité en introduisant une formule de quotas. Cette avancée a aussi été réduite à néant, une majorité de parlementaires ayant rejeté un système qui a permis dans de nombreux pays voisins de la RDC (Ouganda, Burundi, Rwanda, etc.) d’amener plus de 30% de femmes dans les institutions.

L’Observatoire de la parité considère que la loi révisée s’inscrit clairement à contre-courant de l’article 14 de la Constitution : « La femme a droit à une représentation équitable au sein des institutions nationales, provinciales et locales. L’Etat garantit la mise en oeuvre de la parité homme-femme dans lesdites institutions. »

Enfin, une dernière très grave discrimination – peu relevée jusqu’à présent – reste inscrite dans la loi électorale depuis 2006, puisque certaines dispositions, contraires à l’approche genre (1) et à la Constitution (2), et par ailleurs très « conflictogènes » n’ont pas été abolies. Cette anomalie fortement discriminatoire est celle qui prévoit que les chefs des Entités Territoriales Décentralisées (ETD) « Chefferies » ne sont pas élus dans cette fonction (au scrutin indirect) par les membres du Conseil de chefferie élus, alors que les bourgmestres et adjoints des ETD « Communes » et les Chefs de secteur et adjoints des ETD « Secteurs » sont eux élus par les Conseils municipaux (art. 199-206) et les Conseils de Secteurs (art. 215 à 222). Les chefs de chefferie, désignés selon la coutume locale, vont donc disposer, avec le Conseil et le Collège exécutif, d’attributions très importantes et beaucoup plus étendues que celles de chefs coutumiers (art. 73 à 92 de la Loi organique n° 08/016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des Entités Territoriales Décentralisées et leurs rapports avec l’Etat et les Provinces). Leurs attributions seront similaires à celles des bourgmestres et des Chefs de secteur MAIS sans devoir passer comme eux par des élections ni sans devoir rendre compte de leur gestion en violation totale du principe de redevabilité (Article 82 de la même loi sur les ETD : « Le Chef de chefferie ne répond pas de ses actes devant le Conseil de chefferie »). Ils géreront leur entité, avec les mêmes compétences qu’un bourgmestre ou un Chef de secteur, mais sans avoir reçu un mandat électif, uniquement sur base du système moyenâgeux de dévolution successorale par transmission héréditaire du pouvoir de père en fils.

1. Ces dispositions de la loi électorale de 2006 maintenues dans la loi révisée, sont évidemment discriminatoires envers les femmes puisque les chefs coutumiers sont quasi exclusivement des hommes. La loi électorale est donc contraire à la Constitution en son art. 14 qui garantit le droit des femmes à une représentation équitable dans les institutions, ces dernières ne pouvant accéder au pouvoir coutumier.
2. Plus grave encore, l’absence d’élection du Chef de l’ETD chefferie est aussi discriminatoire envers tout citoyen qui est privé, de par la loi électorale et celle sur les ETD, de son droit d’être candidat et élu à la tête d’une ETD et Ces lois sont donc contraire à l’article 12 Constitution : «Tous les Congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection des lois” et à son article 13 «
Aucun congolais ne peut en matière d’éducation et d’accès aux fonctions publiques ni en aucune autre matière, faire l’objet d’une mesure discriminatoire, qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif en raison de sa religion, de son origine familiale, de sa condition sociale, de sa résidence, de ses opinions ou de ses convictions politiques, de son appartenance à une race, à une ethnie, à une tribu, à une minorité culturelle ou linguistique ». Or, les citoyens congolais ne sont pas égaux devant la loi et sont discriminés en matière d’accès aux fonctions publiques, en raison de leur résidence, puisque votre droit d’être élu à la tête d’une ETD et votre droit d’ élire, même de manière indirecte, les autorités de votre ETD – bourgmestre, chef de secteur ou chef de chefferie – n’est pas le même ou « égal » selon que vous résidez – et votez – dans une commune, un secteur ou une chefferie.

L’Observatoire de la parité considère que la loi électorale révisée restera contraire à la Constitution tant que le mandat de Chef de l’ETD « Chefferie » n’est pas attribué, comme cela se fait dans les ETD « Communes » et ETD « Secteurs », sur base d’une élection ouverte à tous, au scrutin indirect, par le Conseil de chefferie élu.

II. UNE LOI DANGEREUSE POUR LE BON FONCTIONNEMENT DEMOCRATIQUE, L’ETAT DE DROIT ET L’ALTERNANCE.

En publiant son calendrier électoral global, la CENI n’a pas manqué de signaler que plusieurs contraintes risquent d’hypothéquer la mise en œuvre de ce calendrier. Il s’agit de prérequis ou de préalables indispensables dont la responsabilité de mise en œuvre incombe à des acteurs extérieurs à la CENI comme le Parlement, le Gouvernement, etc.
La première de ces contraintes est qu’il faut obligatoirement publier les annexes à la loi électorale qui fixent les circonscriptions électorales et répartissent les sièges par province et par circonscription à l’intérieur des provinces. La méthodologie utilisée pour la répartition des sièges pour la députation nationale donc les élections législatives se réalise en deux étapes utilisées lors des précédentes législatives comme celles de 2011 (que nous prenons ici à titre d’illustration). La première étape consiste en la répartition des sièges par province :
– la détermination du quotient électoral fixe qui s’obtient en divisant le nombre total d’électeurs enrôlés en République Démocratique du Congo, soit 32.024.640, par 500 sièges à pourvoir à l’Assemblée nationale ; il est de 64.049,28 ;
– le nombre de sièges à pourvoir par province est égal au nombre total d’électeurs enrôlés dans cette province divisé par le quotient électoral ;
La deuxième étape consiste en la répartition des sièges par circonscription à l’intérieur de chaque province. Chaque circonscription électorale a droit à un nombre de Députés égal au résultat de l’opération suivante : le nombre de sièges à pourvoir dans chaque circonscription est égal au nombre total d’électeurs enrôlés de la circonscription divisé par le quotient électoral .
Le nombre total d’électeurs enrôlés a été obtenu en 2006 et 2011 par les opérations d’identification et d’enrôlement des électeurs organisées par la CENI.

La loi électorale révisée a introduit subrepticement une modification de cette méthodologie en remplaçant à l’article 115 le « nombre total d’électeurs enrôlés » par le « nombre total d’habitants enrôlés » :
«
Chaque circonscription électorale a droit à un nombre de députés égal au résultat des opérations suivantes :
1. Un quotient électoral est obtenu en divisant le nombre total d’habitants de la République Démocratique du Congo par le nombre total des sièges à pourvoir à l’Assemblé nationale ;
2. Le nombre de sièges à pourvoir dans chaque province est obtenu par la division du nombre total d’habitants de cette province par le quotient électoral ;
3. (…)
4. Le nombre de sièges à pourvoir dans chaque circonscription est obtenu par la division du nombre total d’habitants de cette circonscription par le même quotient électoral
«

Or, le « nombre total d’habitants » ne peut être obtenu par la CENI mais seulement par des opérations d’identification de la population c’est à dire le recensement.
La CENI, dans son calendrier électoral global, a mentionné comme contrainte, donc comme condition, à la tenue des élections législatives l’adoption par le parlement et la promulgation de la loi portant répartition des sièges par circonscription électorale pour les élections législatives, à annexer à la loi électorale, en fixant la date limite du 5 mai 2016.
Or, pour voter cette loi le parlement ne doit plus comme précédemment disposer du nombre total d’électeurs enrôlés mais du nombre total d’habitants de la RDC, de chaque province et chaque circonscription, chiffres qui ne peuvent être obtenus que par un recensement général qui devrait donc être achevé avant mai 2016 et donc réalisé en à peine 12 ou 13 mois ! Cela est impossible et on peut donc déduire de cette impossibilité que le glissement des législatives et de l’élection présidentielle couplée ou combinée est inscrit et programmé dans la loi électorale révisée et dans le calendrier électoral global.
En conclusion, l’ « élagage » de l’article 8, applaudi avec des cris de victoire par l’opposition, la société civile, etc., ne garantit donc nullement que le scrutin présidentiel, couplé avec les législatives, sera organisé le27 novembre 2016. Comme conclut avec perspicacité Maître KABENGELA ILUNGA Jean-Marie dans un article intitulé « Loi électorale : recensement toujours incontournable » (Le Phare du 11/02/2015) : «
Ainsi, tout compte fait, nous concluons que le législateur de janvier 2015 a trompé la vigilance du peuple Congolais en supprimant l’alinéa 3 de l’article 8 alors que d’autres dispositions du même texte retiennent l’esprit et la lettre de ladite disposition prétendument supprimée ».
A cette contrainte du « recensement », la CENI a ajouté la « contrainte du décaissement », en d’autres mots du financement. Beaucoup d’observateurs ont déjà signalé que l’absence de moyens financiers pourrait constituer un obstacle de taille à la réalisation de l’ensemble du processus électoral. Ne peut-on craindre en effet, qu’après avoir organisé les élections locales et provinciales du 25 octobre 2015, les caisses soient vides et ne permettent plus la poursuite du cycle électoral et l’organisation des élections présidentielles et législatives du 27 novembre 2016 ?

Toutes ces contraintes « programmées » amènent l’Observatoire de la parité à s’interroger sur l’existence d’un « agenda caché » qui pourrait se révéler aussi dangereux pour la démocratie et l’alternance politique :
1. La loi révisée contient non seulement des dispositions impliquant un recensement préalable mais aussi plusieurs autres dispositions susceptibles de faciliter grandement lors des prochains scrutins le maintien au pouvoir, aux différents niveaux, des membres de la MP et plus particulièrement du PPRD. En effet, comme démontré ci-dessus :
a. La nouvelle loi aggrave considérablement une des conditions d’éligibilité celle des « frais de dépôt de candidature » permettant ainsi aux plus fortunés de se présenter comme candidats, y compris ceux qui ont profité de leur élection à des mandats électifs pour s’enrichir par tous les moyens, y compris illégaux.
b. La loi électorale maintient, comme on l’a vu ci-dessus, une très grave violation des règles de l’Etat de droit et de la Constitution, déjà présente dans la loi de 2006, qui ne prévoit pas que les chefs des Entités Territoriales Décentralisées (ETD) « chefferies » sont élus dans cette fonction au scrutin indirect par les membres élus du Conseil de chefferie. Ainsi les chefs de chefferie, souvent proches de la MP ou du PPRD, seront automatiquement placés à la tête des ETD « Chefferies » qui particulièrement dans les provinces du centre et de l’est de la RDC sont plus nombreuses que les ETD communes et secteur,.
2. Sur base de cette nouvelle loi électorale, la CENI organise les élections provinciales et urbaines, municipales et locales le 25 octobre 2015. Deux scénarios possibles :
a. Scénario A : Tout ou partie de l’opposition politique et de la société civile, insatisfaites du calendrier électoral global ou réalisant que le « glissement » est toujours une option autorisée et facilitée par la loi électorale, décident de boycotter les élections, de ne pas déposer de candidatures et de ne pas appeler les électeurs au vote. Résultat : victoire de la MP qui emporte l’écrasante majorité des sièges de conseillers dans les ETD. La communauté internationale constate, à travers ses observateurs, que le scrutin s’est déroulé régulièrement et donne son quitus. En effet, en raison du boycott et donc de toute véritable compétition, il n’y a même pas eu besoin de recourir aux moyens habituels de fraude électorale.
b. Scénario B : Pas de boycott des élections mais de par les dispositions insidieuses décrites ci-dessus (caution élevée, Chefs des ETD « Chefferies » désignés d’office, etc.) qui désavantagent l’opposition et/ou par la fraude organisée, la MP obtient la majorité dans la plupart des conseils des communes, secteurs chefferies.
3. Début 2016, le 23 janvier selon le calendrier électoral, les Conseils locaux sont installés : la MP dispose à travers le pays de Conseils des ETD qui lui sont largement acquis et qui peuvent constituer un corps de « grands électeurs » utilisables pour l’organisation des autres scrutins à venir sur le mode indirect.
4. En raison de difficultés de décaissement et de financement et pour « raisons d’économie », le Gouvernement (re)dépose au parlement des projets de loi modifiant à nouveau la loi électorale et la Constitution faisant passer certaines élections dont les législatives et, pourquoi pas, la présidentielle au mode de scrutin indirect, le corps électoral étant constitué dorénavant par les « grands électeurs » que sont les conseillers élus lors des élections locales,
5. Fin du scénario : les élections législatives et la présidentielle sont organisées par la CENI en 2016 et 2017 sur la base du nouveau mode de scrutin indirect et connaissent toutes l’écrasante victoire des candidats de la MP et du PPRD.

Au terme de cette analyse, l’Observatoire de la parité considère que les pièges mis en place par la loi électorale sont en parfait état de fonctionnement et qu’il est urgent de les désamorcer.
Les organisations de défense des droits des femmes, les hommes et les femmes soucieux de l’approche genre, ont tout intérêt à se mobiliser contre une loi sexiste qui bloque les progrès de la participation politique des femmes pour les années ou même les décennies futures.
L’opposition politique mais aussi les membres de la MP soucieux du respect de la Constitution, la société civile, tous les démocrates congolais, hommes et femmes, doivent prendre conscience non seulement du caractère illusoire de l’élagage de l’alinéa 3 de l’article 8 qui n’empêchera aucunement le glissement des élections, même après publication du calendrier électoral global 2015-2016 par la CENI. Prendre conscience aussi du caractère « orienté » de plusieurs dispositions de la loi qui contribueront à fausser la compétition électorale, à nuire à son intégrité et a empêché toute alternance.
La communauté internationale devrait subordonner son appui financier aux élections à l’obtention de garanties non seulement d’un processus électoral accompli dans les délais constitutionnels mais aussi d’un processus électoral « sensible au genre », libre, démocratique, transparent et apaisé, garanties qui ne sont aucunement apportées par la loi électorale révisée.
Enfin, l’Observatoire de la parité ne manquera pas d’utiliser le droit constitutionnel inscrit à l’article 162 al.2 : «
Toute personne peut saisir la Cour constitutionnelle pour inconstitutionnalité de tout acte législatif ou réglementaire »