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Loi n° 15/013 du 1er août 2015 portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité
Exposé des motifs
Depuis son accession à l’indépendance, la République Démocratique du Congo fournit des efforts pour offrir des opportunités légales aux hommes et aux femmes en vue de leurs protection et sécurité.
Cependant, beaucoup reste à faire afin de permettre aux femmes d’accéder en nombre suffisant aux instances de prise de décisions.
Des inégalités de droits, de chance et de sexe persistent entre les hommes et les femmes et font perdre à la République Démocratique du Congo l’utile contribution des femmes à la réalisation de ses objectifs de développement humain durable. Cette persistance des disparités entre homme et femme est constatée dans presque tous les domaines de la vie nationale, particulièrement dans les domaines politique, économique, social et culturel, disparités qui entraînent inéluctablement des discriminations entravant la mise en œuvre adéquate de la parité homme-femme.
Devant cette situation, la Constitution du 18 février
2006, telle que modifiée et complétée à ce jour, consacre, dans ses articles 12 et 14, les principes d’égalité de droits, de chance et de sexe.
La République Démocratique du Congo a ratifié plusieurs instruments juridiques internationaux, régionaux et sous-régionaux relatifs aux droits humains, notamment :
– la Déclaration universelle des droits de l’homme ;
– le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatifs aux droits des femmes ;
– la Convention des Nations-Unies sur les Droits de l’Enfant ;
– la Convention sur l’élimination de toutes les discriminations à l’endroit de la femme ;
– le Protocole d’accord de la SADC sur le genre et le développement ;
– la Résolution 1325 des Nations-Unies.
Ces instruments juridiques internationaux, régionaux et sous-régionaux proclament tous l’égalité de droits entre l’homme et la femme et constituent autant d’engagements pour la République Démocratique du Congo à prendre des mesures légales et administratives pour la jouissance de ces droits par la femme.
L’élaboration de la Loi portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité est une application de l’article 14 de la Constitution.
Elle renforce l’engagement de l’Etat congolais à bâtir une société plus juste où les comportements, les aspirations et les différents besoins de l’homme et de la femme sont pris en compte.
Ainsi, la présente Loi a pour but la promotion de l’équité de genre et de l’égalité des droits, de chances et de sexes dans toute la vie nationale, notamment la participation équitable de la femme et de l’homme dans la gestion des affaires de l’Etat.
Cette Loi comprend 38 articles regroupés en 5 chapitres ci-après :
Chapitre I : Des dispositions générales
Chapitre II : Des modalités de mise en œuvre
Chapitre III : Des structures de mise en œuvre
Chapitre V : Des dispositions transitoires, abrogatoires et finales
Telles sont les grandes articulations de la présente Loi.
Loi
L’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté ;
Le Président de la République promulgue la Loi dont la teneur suit :
Chapitre I : Des dispositions générales
Section 1 : De l’objet
Article 1
La présente Loi fixe les modalités d’application des droits de la femme et de la parité homme-femme conformément à l’article 14 de la Constitution.
Ces droits concernent :
1. l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard de la femme ainsi que la protection et la promotion de ses droits ;
2. le total épanouissement et la pleine participation de la femme au développement de la Nation ;
3. la protection contre les violences faites à la femme dans la vie publique et dans la vie privée ;
4. une représentation équitable au sein des institutions nationales, provinciales et locales ;
5. la parité homme-femme.
Section 2 : Du champ d’application
Article 2
Les dispositions de la présente Loi s’appliquent à tous les domaines de la vie nationale, notamment politique, administratif, économique, social, culturel, judiciaire et sécuritaire.
Section 3 : Des définitions
Article 3
Au sens de la présente Loi, on entend par :
1. clichés sexistes : croyances entretenues à propos des caractéristiques, traits et domaines d’activités dont on estime qu’ils conviennent aux femmes, aux hommes, aux filles et aux garçons, en référence aux rôles conventionnels qu’ils remplissent d’habitude, au foyer ou en société ;
2. discrimination : toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l’opinion politique, l’ascendance nationale ou l’origine sociale et qui a pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité de chances ou de traitement ;
3. discrimination positive : principe consistant à restaurer l’égalité en accordant à certaines catégories sociales un traitement préférentiel par des programmes et mesures d’orientation qui visent à corriger les discriminations existantes ;
4. égalité : le fait d’être égal en termes de droits et de devoirs, de traitement, de quantité ou de valeurs, d’accès aux possibilités et aux résultats, y compris aux ressources ;
5. égalité entre les sexes : jouissance égale des droits et de l’accès aux possibilités et aux résultats, y compris aux ressources, par les femmes, les hommes, les filles et les garçons ;
6. équité : sentiment de justice naturelle fondée sur la reconnaissance des droits de chacun ;
7. équité entre les sexes : répartition juste et équitable des bénéfices, récompenses et des possibilités entre les femmes, les hommes, les filles et les garçons ;
8. équité de genre : démarche de reconstruction sociale fondée sur la justice naturelle qui conduit à l’égalité des sexes par rapport aux rôles et responsabilités dévolus aux hommes et aux femmes ;
9. genre : rôles, devoirs et responsabilités que la culture et la société assignent aux femmes, aux hommes, aux filles et aux garçons ;
10. intégration de la dimension genre : processus consistant à identifier les écarts dus au sexe et à s’assurer que les préoccupations et expériences des femmes, des hommes, des filles et des garçons font partie intégrante des exercices de conception, de mise en œuvre, de suivi et d’évaluation des politiques et programmes dans toutes les sphères, de sorte qu’ils en tirent également profit ;
11. parité homme-femme : égalité fonctionnelle qui consiste en la représentation égale entre les hommes et les femmes dans l’accès aux instances de prise de décision à tous les niveaux et dans tous les domaines de la vie nationale, sans discrimination ; outre le principe du nombre, elle indique aussi les conditions, les positions et les placements ;
12. pratique néfaste : tout fait ou geste qui affecte négativement les droits fondamentaux des femmes et des hommes tels que le droit à la vie, à la santé, à l’éducation, à la dignité et à l’intégrité physique ;
13. violence sexiste : actes perpétrés contre les femmes, les hommes, les filles et les garçons au titre de leur sexe, qui occasionnent ou pourraient occasionner à leur endroit un dommage physique, sexuel, psychologique, émotionnel ou économique, y compris la mesure de recourir à des tels actes.
Chapitre II : Modalités de mise en œuvre
Section 1 : De la représentation de la femme dans le domaine politique et administratif
Article 4
L’homme et la femme jouissent de façon égale de tous les droits politiques.
La femme est représentée d’une manière équitable dans toutes les fonctions nominatives et électives au sein des institutions nationales, provinciales et locales, en cela y compris les institutions d’appui à la démocratie, le conseil économique et social ainsi que les établissements publics et paraétatiques à tous les niveaux.
Article 5
Les partis politiques tiennent compte de la parité homme-femme lors de l’établissement des listes électorales dans les conditions prévues par la Loi électorale.
Article 6
L’Etat adopte des stratégies spécifiques afin d’assurer des possibilités égales de participation entre les femmes et les hommes à tous les processus électoraux, y compris à l’administration des élections et au vote.
Il veille à ce que les hommes soient inclus dans toutes les activités concernant le genre et la mobilisation des communautés.
Section 2 : De la participation de la femme dans le domaine économique
Article 7
Les politiques et les programmes économiques de développement du pays sont élaborés et mis en œuvre en tenant compte de la parité homme-femme. Ils assurent à tous l’égal accès aux ressources et avantages consécutifs.
Le secteur privé promeut, en son sein, la participation de la femme aux instances de prise de décision.
Article 8
L’Etat garantit le droit de la femme à l’initiative privée.
Il favorise, sans discrimination basée sur le sexe, l’accès à l’épargne, aux crédits, aux diverses opportunités et aux nouvelles technologies.
Article 9
L’Etat prend des mesures pour éliminer toute pratique néfaste aux droits de la femme en matière d’accès à la propriété, à la gestion, à l’administration, à la jouissance et à la disposition des biens.
Section 3 : De la protection et de la promotion de la femme dans les domaines socioculturels et de la santé
Article 10
L’homme et la femme ont droit à l’égalité de chances ainsi qu’à l’accès à l’éducation et à la formation.
A cet effet, le Gouvernement met en œuvre des programmes spécifiques pour :
1. encourager la parité des filles et des garçons en matière de scolarisation ;
2. orienter les filles dans toutes les filières d’enseignement ;
3. réduire sensiblement l’écart dans le taux d’alphabétisation entre l’homme et la femme ;
4. récupérer les enfants non scolarisés des deux sexes par des programmes spéciaux, l’apprentissage et la formation professionnelle ;
5. prendre en charge la formation et l’éducation des filles et des garçons démunis ;
6. assurer aux filles-mères ou enceintes la poursuite de leur scolarité.
Article 11
Tout stéréotype et tout cliché sexiste sont interdits à tous les niveaux d’enseignement, notamment dans les outils pédagogiques, dans les curricula, dans les activités parascolaires et culturelles, dans l’orientation scolaire, le choix d’une carrière, la publicité et l’audiovisuel.
Article 12
L’Etat développe une politique qui encourage, par des mesures incitatives, la construction, sur fonds publics ou privés, des centres d’information, de formation, de promotion et de défense des droits de la femme et de la jeune et petite fille, dans chaque village, groupement, chefferie, secteur, quartier, commune et ville.
Article 13
L’homme et la femme sont partenaires égaux dans la santé de la reproduction.
Ils choisissent de commun accord une méthode de planification familiale qui tienne compte de leurs santés respectives.
Article 14
L’Etat garantit à la femme, pendant la grossesse, à l’accouchement et après l’accouchement, des services de soins de santé appropriés à coût réduit, à des distances raisonnables et, le cas échéant, à titre gratuit ainsi que des avantages socioprofessionnels acquis.
Article 15
L’Etat est le premier responsable de la lutte contre le VIH/Sida. Il définit la politique, trace les grandes orientations et élabore les programmes en matière de prévention, de prise en charge, d’atténuation de l’impact négatif et de la recherche.
La femme et l’homme séropositifs bénéficient de toutes les dispositions mises en place par l’Etat dans le cadre de la politique nationale de santé de la reproduction.
Article 16
Dans la lutte contre les violences faites à la femme, l’Etat veille à la prise en charge médicale, psychologique et socioculturelle de la victime.
Article 17
Sans préjudice des dispositions du Code de la famille, l’homme et la femme ont, dans leurs rapports familiaux et conjugaux, les mêmes droits et obligations.
Article 18
Le droit de la femme au mariage et son plein épanouissement dans le foyer ne peuvent souffrir d’aucune entrave liée à la dot.
Article 19
En cas de décès, il est interdit, sous peine de poursuites judiciaires, d’infliger au conjoint survivant des traitements inhumains, humiliants et dégradants.
Article 20
Il est interdit de discriminer les travailleurs en raison du sexe, en se fondant notamment sur l’état-civil, la situation familiale ou s’agissant des femmes, sur leur état de grossesse.
Article 21
Sans préjudice des dispositions légales en vigueur, l’interdiction de toute discrimination s’applique à toute pratique néfaste liée notamment à l’embauche, à l’attribution des tâches, aux conditions de travail, à la rémunération et autres avantages sociaux, à la promotion et à la résiliation du contrat de travail.
Article 22
L’Etat encourage, par des mesures incitatives, les employeurs qui embauchent les femmes pour corriger les inégalités existantes et qui adoptent des politiques permettant de mieux concilier les obligations familiales et professionnelles telles que les horaires de travail variables et souples, l’emploi à temps plein et partiel, les autres conditions de travail et de sécurité sociale.
Article 23
L’Etat prend des mesures coercitives pour garantir le respect de la dignité humaine dans le traitement de l’image de la femme et de l’homme, dans la production et la diffusion de la publicité, de la danse, de la chorégraphie, du théâtre, de la mode et de l’audiovisuel.
Article 24
L’Etat prend des mesures appropriées pour modifier des schémas et modèles de comportement socioculturel de la femme et de l’homme, par l’éducation du public, par le biais de stratégies utilisant les nouvelles technologies de l’information et de la communication, en vue de parvenir à l’élimination de toutes les pratiques culturelles néfastes et les pratiques fondées sur l’idée d’infériorité ou de supériorité de l’un ou de l’autre sexe ou sur les rôles stéréotypés de la femme et de l’homme.
Section 4 : De la protection et promotion de la femme dans les domaines judiciaire et sécuritaire
Article 25
Toute femme a droit au respect de sa vie, de son intégrité physique et à la sécurité de sa personne. Toutes les formes d’exploitation, de punition et de traitement inhumain ou dégradant sont interdites.
Article 26
L’Etat veille à la prise en charge judiciaire, à l’indemnisation ainsi qu’à la réinsertion socio- économique des victimes des violences basées sur le genre.
Article 27
Les instances compétentes en la matière encouragent l’accès de la femme et assurent sa promotion au sein de la magistrature, des forces armées, de la police nationale et des services de sécurité, conformément à l’article 1er de la présente Loi.
Chapitre III : Des structures de mise en œuvre
Article 28
Les structures chargées de la mise en œuvre de la présente Loi sont :
1. le Comité interministériel ;
2. le Conseil National du Genre et de la Parité.
Article 29
Le Comité Interministériel est un organe de haut niveau, composé des Ministères ayant dans leurs attributions le genre, la femme et la famille, l’emploi, la jeunesse, le plan, les affaires sociales, la santé, l’éducation et la justice.
Il a pour mission d’impulser la dynamique de l’évolution des questions relatives aux droits de la femme et de la parité.
Article 30
Le Conseil National du Genre et de la Parité est un mécanisme inclusif composé des représentants des institutions, des Ministères concernés et des forces vives œuvrant pour la promotion de la femme.
Il a pour mission de :
– promouvoir l’appropriation, par les femmes et les hommes, de la dimension genre ;
– formuler et proposer les politiques, programmes et mesures nécessaires à la mise en œuvre de la parité et des droits de la femme.
Article 31
Un Décret du Premier ministre, délibéré en Conseil des Ministres, fixe l’organisation et le fonctionnement du Comité interministériel et du Conseil National du Genre et de la Parité.
Article 32
Les institutions nationales, provinciales et locales, les établissements et les services publics, publient les mesures prises en vue de la mise en œuvre de la parité et procèdent à leur évaluation annuelle.
Chapitre IV : Des sanctions
Article 33
Tout parti politique dont la liste électorale ne tient pas compte de la dimension genre n’est pas éligible au financement public.
Article 34
Toute violation des dispositions de la présente Loi est passible des sanctions conformément aux Lois de la République.
Article 35
Sans préjudice d’autres sanctions prévues par les textes particuliers, tout traitement d’images et de sons fait en violation de la dignité humaine et des règles morales établies est passible d’une peine d’amende allant de 100.000 à 1.000.000 de Francs congolais.
Chapitre V : Des dispositions transitoires, abrogatoires et finales
Article 36
En application de la présente Loi, des mesures nécessaires à la correction des inégalités existantes sont prises pour l’exécution progressive de la parité homme- femme au moyen de la discrimination positive dans les domaines public et privé.
Article 37
Toutes les dispositions antérieures contraires à la présente Loi sont abrogées.
Article 38
La présente Loi entre en vigueur à la date de sa promulgation.
Fait à Lubumbashi, le 1eraoût 2015
Joseph KABILA KABANGE